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BUDAPEST-1989-1990

Carnet de voyage à Budapest de Jacques Bravo

En 1989, la Hongrie supprime ses frontières avec l'Autriche permettant à des milliers d'allemands de l'Est de passer à l'Ouest.

Je décide de m'y rendre et passerai presque quatre mois en plusieurs voyages à découvrir Budapest, ses habitants et les artistes à qui je demande de me guider dans l'intimité de leur ville

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En préambule , un petit survol des conditions de l'ouverture de la Hongrie.

1989, l'année qui a changé l'Histoire.

Comment le Rideau de fer est tombé en lambeaux

"Le 27 juin 1989, les ministres des Affaires étrangères hongrois et autrichien tailladaient devant les caméras la barrière de barbelés qui séparait leurs deux pays. Comment est-on arrivé à ce geste spectaculaire ?

L’histoire de l’ouverture de la frontière entre la Hongrie et l’Autriche est un véritable roman.

Tout commence dans la seconde moitié de 1986, lorsque les responsables de la police des frontières hongroise – à commencer par János Székely, qui venait d’être nommé à leur tête – dénoncent l’état technique désastreux du Rideau de fer dans un rapport officiel. Se référant à leur expérience de tous les jours, ils en arrivent à une conclusion simple : à l’époque des satellites, il serait vain de dépenser des milliards de forints pour rénover cette barrière obsolète ; mieux vaudrait tout liquider. Compte tenu des particularités de l’époque, leur rapport va circuler pendant deux ans dans les labyrinthes de la bureaucratie étatique. D’autant que personne n’ose prendre une telle décision.

C’est alors que la Hongrie introduit, le 1er janvier 1988, le “passeport universel”

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Le 24 novembre 1988 survient un événement important : Miklós Németh, 40 ans, est nommé au poste de Premier ministre à la place de Károly Grósz, qui reste Premier secrétaire du PC hongrois. Németh constate que le pays est au bord de la faillite. Il scrute le budget de 1989 en expert-comptable pour voir où il peut économiser de l’argent. Son attention est attirée sur le coût exorbitant de l’entretien de la frontière avec l’Autriche. D’un trait, il supprime le poste budgétaire. Il annoncera cette décision en février 1989 au chancelier autrichien Franz Vranitzky, à Vienne, lors de son premier voyage à l’étranger. Les Autrichiens ne sautent d’ailleurs pas de joie. Car ils en concluent que cela va alourdir la tâche des gardes-frontières autrichiens… Restait à savoir comment la direction soviétique allait réagir.

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L'avenue de la République Populaire devient la rue Andrassy

L'avenue dont le comte Gyula Andrássy entreprit la construction en 1871.

Bravant le “conseil” catégorique de Károly Grósz, Németh se rend le 3 mars à Moscou et y rencontre Mikhaïl Gorbatchev. Le chef du gouvernement hongrois parle de l’introduction du multipartisme, de la situation économique du pays, du retrait des troupes soviétiques… et du rapatriement des armes nucléaires entreposées en Hongrie. Fait typique de l’époque, Németh n’a appris qu’une fois nommé que les Soviétiques stockaient depuis la fin des années 1960 des armes nucléaires au nord du lac Balaton. Gorbatchev répond que la direction soviétique va examiner la question et donner une réponse en temps voulu. (Le “temps voulu” arrivera quelques mois plus  tard, lorsque les Soviétiques annonceront aux dirigeants hongrois que le stock d’armes nucléaires a été rapatrié. Une information que le ministre de la Défense, Ferenc Kárpáti, accueillera en jurant comme un charretier : personne, pas même les services secrets, n’était au courant de ce transfert.) A la fin de sa conversation avec Gorbatchev, Németh annonce en passant que Budapest veut démanteler son dispositif frontalier. Réponse inattendue de Gorbatchev : “Faites ce que bon vous semble.”

Le rideau de fer en 1989

Le rideau de fer

Gorbatchev s’attendait certainement à ce que les pays du Bloc se contentent de suivre la ligne libérale de la perestroïka et qu’ils consolident de l’extérieur son cours branlant. Derrière cette phrase, on distingue également une nouvelle vision du “camp socialiste” : les partis communistes au pouvoir ne répondaient de leurs actes que devant leurs peuples – autrement dit, la doctrine Brejnev, qui limitait la souveraineté des pays socialistes, était révolue.

Des manifestants sur le Pont des Chaînes à Budapest

Des manifestants sur le Pont des Chaînes à Budapest

En fait, l’affaire de la frontière hongroise et le problème des réfugiés d’Allemagne de l’Est [attendant en Hongrie l’ouverture de la frontière pour passer à l’Ouest] n’existent pas pour Moscou. Quand les dirigeants de la RDA font à plusieurs reprises le voyage à Moscou en les priant de faire pression sur les Hongrois, les Soviétiques gardent le silence. La direction du Parti communiste soviétique ne réagit pas non plus aux inquiétudes des Tchécoslovaques, des Roumains et des Bulgares, qui se plaignent de la politique “séparatiste” des Hongrois.

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Les soldats russes vendent leurs équipements avant de rentrer

Pendant ce temps, la Hongrie prépare activement la suppression de sa barrière frontalière occidentale. La situation évolue également sur le plan politique. Les relations se détériorent entre Károly Grósz et Miklós Németh. Fin avril, Grósz parle de l’introduction d’un “état d’urgence économique”, tandis que Németh se libère de plus en plus de la tutelle du Parti pour diriger le pays ; il va même jusqu’à remanier son gouvernement, le 10 mai, sans en référer à Grósz. C’est à cette occasion qu’il nomme Gyula Horn ministre des Affaires étrangères. Ce dernier va faire partie, avec Németh et le ministre de l’Intérieur, István Horváth (en place depuis le 1er janvier 1988), de la troïka responsable de la destruction du Rideau de fer. Au début de l’été 1989, la RDA commence à s’inquiéter sérieusement de la situation. A juste titre, car c’est le début des vacances d’été et 10 % de la population est-allemande (soit plus de 1,5 million de personnes) a déjà quitté ou s’apprête à quitter le territoire national. Les dirigeants de la RDA se doutent déjà des conséquences envisageables si les habitants du pays réalisent pleinement la portée des événements hongrois.

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Les rues de Budapest sont rebaptisées

Début août, les Allemands de l’Est sont de plus en plus nombreux à se presser en Hongrie : 181 personnes qui se sont réfugiées dans les locaux de l’ambassade de RFA à Budapest sont évacuées en avion vers l’Ouest, ce qui donne lieu à des scènes dignes de romans d’espionnage. Mais, pour les autres, les conditions de vie commencent à devenir intenables, notamment dans les campings du lac Balaton. A la mi-août, aucune issue ne semble se dégager. Budapest prend alors contact avec Bonn, et les deux gouvernements demandent d’un commun accord l’intervention de tierces parties : la Croix-Rouge internationale et l’ordre de Malte. Cela pour éviter de donner ne serait-ce que l’impression qu’ils “négocient” les citoyens de la RDA aux dépens de celle-ci. Le 17 août, lors d’un Conseil des ministres orageux, le destin des Allemands de l’Est revient encore sur le tapis. Mais, deux jours plus tard, les projets sont dépassés par la réalité : le monde entier voit à la télévision plusieurs centaines de fugitifs traverser en courant une section de la frontière austro-hongroise provisoirement ouverte à l’occasion d’un “pique-nique paneuropéen”. Il devient impossible de reculer : la décision d’ouvrir les frontières est prise le 22 août. Il ne manque plus qu’à fixer une date officielle et à en organiser le déroulement. Le 25 août, sur demande hongroise, Miklós Németh et Gyula Horn rencontrent au château de Gymnich le chancelier allemand Helmuth Kohl et son ministre des Affaires étrangères, Hans-Dietrich Genscher. Kohl est extrêmement touché par la décision de la Hongrie de laisser les citoyens de la RDA traverser la frontière, et demande aux Hongrois ce qu’ils veulent en contrepartie. Németh lui répond que la Hongrie ne “vend pas des êtres humains”. Il fait allusion à la Roumanie de Ceausescu, d’où les Saxons et les Juifs n’avaient pu s’expatrier pendant de longues années que contre de fortes compensations financières. Certains, en Hongrie, critiquent encore aujourd’hui Németh pour ne pas avoir su tirer un meilleur parti de la situation.

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Une autre question tarabuste Kohl : “Est-ce que Gorbatchev est au courant ?”

“C’est notre affaire, nous en prenons l’entière responsabilité”, lui répondent les Hongrois, sans pour autant le rassurer complètement. Aussi, le chancelier allemand décide d’appeler lui-même le numéro un soviétique. Celui-ci, d’après les souvenirs de Kohl, lui aurait dit : “Les Hongrois sont des gens bien.” Pour Kohl, Moscou donnait ainsi son feu vert. Les souvenirs de Gorbatchev divergent. Il pense lui avoir dit : “Le Premier ministre hongrois, Miklós Németh, est quelqu’un de bien.” Ce qui signifiait que Kohl pouvait lui faire confiance.
Dès lors, tout est joué. Après quelques rebondissements – qui sont racontés en détail dans le livre d’Oplatka –, le gouvernement hongrois annonce le 10 septembre sa décision d’ouvrir sa frontière avec l’Autriche le lendemain.

Des milliers d’Allemands de l’Est profitent immédiatement de la décision [on estime à 15 000 le nombre des réfugiés qui sont passés au cours de la première semaine]. L’Histoire est en marche – même si personne ne peut encore prévoir que le mur de Berlin va s’écrouler deux mois plus tard, le 9 novembre, ensevelissant sous ses décombres quarante années de séparation entre Est et Ouest

Róbert Friss

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